Figures paysagères
Cette nouvelle série d’images proposées par Françoise Lavoie ouvre des
voies multiples; au fil du parcours auquel l’artiste nous convie, les
gisements d’une terra incognita apparaissent.
Les lieux ont toujours joué un rôle fondamental chez cette artiste; ses oeuvres actuelles sont imprégnées du désir de sonder les frontières, de les déjouer, de les découper, peut-être dans l’espoir de les abolir. Frontières du temps et de l’espace, confins de l’horizon et du regard, fragiles limites entre le dedans et le dehors. À travers un travail de juxtaposition et de superposition de photographies, des filons de matières s’additionnent et se fondent : glèbe, rochers, arbres, estrans, cathédrales païennes, platiers, ciels en pagaille, couloirs sans fin, cascades, escaliers, cours d’eaux privés d’issue, avalés par l’horizon; l’esprit de la peinture s’amalgame à celui de la photographie. L’artiste n’hésite pas à métisser les assises techniques; à la puissance de la photographie, elle ajoute la force et l’énergie du tableau. Ces manœuvres combinées au rôle actif joué par le spectateur qui s’engage à la découverte de cet univers, permettent aux nombreuses couches de sens de se révéler. Au milieu de paysages aux perspectives oniriques où le point de fuite ne règne plus en maître, une femme apparaît, qui nous accompagne à travers toutes les œuvres. Femme dont on ne verra jamais vraiment le visage; présence claire et obscure dans sa petite robe noire. Seule sa tête baissée comme pour une prière, sa pâle chevelure et ses mains au bout de ses bras ballants nous sont livrées; des mains abandonnées à ce qui pourrait se passer, des mains lumineuses, illuminant les lieux. La posture de cette femme en est une de contemplation et de réflexion : immobile, elle circule à travers paysages, atmosphères et climats. Le regard tourné vers l’intérieur, elle voit tout, elle reçoit, elle absorbe. |
Cette femme se trouve nommée à travers les titres que Françoise Lavoie
attribue aux premiers tableaux de la série :
Estelle, prénom qui interroge l’existence même : Est-elle? Comme le secret du visage d’Estelle demeure scellé, l’évocation l’emporte sur la description. Seul être vivant visible, elle voyage immobile à travers les strates de la mémoire et des paysages; elle devient passeuse, notre guide dans ce voyage. Personnage à l’écoute du silence, peut-être de souvenirs, témoin de ces lieux saturés de mystère, riches d’horizons et de substances; exposée, comme les lieux qui l’accueillent, à toutes sortes de dévastations possibles. Dans ces lieux créés par Françoise Lavoie, les rivières se fondent à des forêts mouvantes et des nuages poussent là où tout paraissait infertile. Dehors et dedans ne font plus qu’un. Ils se superposent et la pierre, la terre, les frondaisons côtoient tout naturellement l’âme. Car c’est d’âme qu’il s’agit, c’est-à-dire, au premier sens du terme, du principe de la vie. Il n’y a plus, dès lors, d’opposition ou de fusion entre l’Être humain et la Nature, mais plutôt réflexion et réflection. Fragile et opiniâtre à la fois, souveraine autant que discrète, l’éclaireuse nous invite à réfléchir à tout ce qui veut bien sédimenter en nous, pour peu qu’on prenne le temps de fermer les yeux. Solange Lévesque Critique d’art indépendante |